jeudi 16 février 2017

le phimosis


C'était sur une étagère dans la salle d'attente, ou au-dessus d'un meuble – sans doute pour me calmer, car j'étais terrorisé, il m'en approcha un – le Docteur, vêtu d'une blouse blanche, – "On va t'en mettre un tout neuf, comme ça".
Il flottait là-dedans des grosses têtes de têtards, c'était une drôle de matière, je ne savais pas si c'était du plastique ou de la chair, si c'était vivant ou mort... dans ces gros bocaux. C'était la première fois que j'allais à Lyon, la ville m'avait paru grande et belle – à moins que ce ne fût pas Lyon mais Vienne, j'avais dix-huit mois à ce qu'ils ont dit, je crois – grande et belle et grise, pour moi c'est Lyon, nous étions arrivés le matin, il pleuvait, il ne faisait pas chaud – à moins que ce ne fussent mes larmes. Au retour un petit cadeau je crois, on est passé chez une cousine – de la tendresse. Mais à partir de là tout blanc tout mou tout éteint. J'étais moi-même, le petit malade.
Et dix ans passèrent comme ça dans la farine dans le talc dans l'étouffement d'une partie de moi-même. Je ne savais pas si c'était en chair ou en plastique, ou si c'était la chair d'un autre qu'on m'avait mise. C'est là alors que petit à petit j'ai appris la honte, la peur de regarder certaines choses en face, la peur d'avoir à avouer le handicap, d'avoir à découvrir toute l'ampleur du handicap.
Adolescent, cela se traduisait pour moi par la quasi certitude que j'étais inapte à procréer. C'est ainsi que je vivais et que j'étouffais ce terrible sentiment de castration. En fanfaronnant aussi parfois.

Bien plus tard, je criai ce mot à travers les collines pour pouvoir m'en débarrasser.


feuille de papier retrouvée en déménageant

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